Cela faisait plusieurs jours qu’il était revenu à Boston. Et pourtant, il avait déjà l’envie de repartir, de tout plaquer une seconde fois. La fuite de ses responsabilités, du foutoir qu’était devenu sa vie ici, tout ça il n’en voulait plus. Mais par où commencer ? Il avait voulu au départ discuter avec Olivia, trouver un moyen de pouvoir parler de ce qui avait pu se passer dans leur passé. Mais elle lui avait claqué la porte au nez, elle lui avait clairement dit qu’il n’était plus le bienvenue dans sa vie, ni celle de leur fils. Aidan s’en voulait tellement, il était rongé par le remords. Mais surtout, ce qui lui manquait par dessus tout de son ancienne vie, c’était le soutien de sa sœur. Il n’arrivait pas à parler avec elle. Des jours qu’il était de retour et rien ou presque n’avait été dit. Il s’en voulait de la traiter comme ça, surtout qu’elle n’avait pas hésité à l’accueillir, à partager son propre appartement avec son frère. Qui aurait pu accepter ça ? Mais il n’arrivait pas à faire le premier pas. Il savait qu’il avait déçu celle qui le connaissait le mieux, celle sur qui il avait toujours pu compter. Il avait honte de l’exemple qu’il avait pu lui donner, à elle qui venait à peine d’entre dans l’âge adulte. Cinq longues années qu’ils ne s’étaient pas adressés la parole, et il revenait dans la vie de cette dernière comme par magie. Il était entrain de mettre un point final à son prochain article, prêt à l’envoyer sur les serveurs du journal, lorsque sa sœur brisa la glace qui s’était formée entre eux : « - Je sais … » Oui, il savait que cela ne pouvait plus durer. Et il remerciait déjà sa sœur du regard pour avoir fait le premier pas qu’il n’avait pas osé entreprendre  depuis son retour « - Mais qu’est-ce que je peux dire Ada’ ?  Olivia ne veut pas me parler, j’ai un fils dont j’ignore absolument tout et nous c’est devenu un bordel monstre. J’ai l’impression d’être seul contre la Terre entière, comme si j’étais le pire salaud pour une seule erreur … Pire encore, j’ai l’impression d’être notre père. » Et vu le peu de sympathie qu’avait Aidan pour leur père, c’était un constat assez particulier, qu’eux-seuls pouvaient réellement comprendre.

« - Je sais … »Plus jeunes, c’était Aidan qui jouait le mec sage, le grand frère qui protégeait sa sœur contre tout ce qui pouvait lui arriver. Tous les deux, ils en avaient bavé et le fait que pendant si longtemps, ils ne s’étaient plus parlés avait mis un énorme coup au moral du jeune homme. Même si il y’a un écart d’âge assez grand entre eux, ils ont toujours trouver le moyen de se serrer les coudes. Même après qu’Aidan soit parti à Washington, ils avaient tenté de garder le contact. Mais les appels, les visites s’estompaient. Et il y a cinq ans, ils se sont disputés violemment. Une sorte de rupture fraternelle, avec des mots durs qu’avait prononcer Aidan à l’attention de sa sœur. Jamais il n’avait haussé le ton avec elle, jamais ils ne s’étaient disputés. Cela peut paraître étrange pour une relation frère sœur, mais après ce qu’ils avaient pu endurer seuls dans leur enfance … Cela les avait forcé à toujours s’entraider. Et malgré tout ça, malgré la lâcheté de son frère, elle avait accepté de l’accueillir. Il écoutait sa sœur lui prodiguer des conseils, elle pas haute comme trois pommes et il la sentait changée. Cela pouvait paraître banal, mais dans les reproches de la jeune fille, il ressentait de la fierté pour elle. Mais à l’évocation de son fils, c’est une mine sombre qu’afficha Aidan : « - Mais combien de temps ? J’ai déjà perdu assez de temps comme ça ! » Il venait de se lever. Il n’aimait pas rester inactif, dans son boulot, Aidan avait toujours été le plus actif, le plus travailleur. Il était à l’opposé d’être patient et il n’aimait pas être dans cette situation. Mais il se rendait compte aussi qu’il haussait le ton envers sa sœur, chose qu’il n’osait jamais faire d’ordinaire. Mais tellement de choses avaient changées, ils étaient chacun différents, avaient pris des chemins séparés et surtout, Aidan ne savait rien de la vie de sa sœur. Il cherchait à se calmer, de se sortir de la tête sa propre situation. Il voulait changer de sujet. « - Je voulais pas mettre ça sur la table comme ça, mais puisqu’apparemment tu veux qu’on parle … Je suis désolé de t’avoir laissée toute seule. Mais maintenant que je suis de retour, je veux qu’on travaille sur nous deux. Et je veux savoir ce qui a bien pu t’arriver pendant tout ce temps. Je te connais, t’es ma sœur, je t’ai pratiquement élevée tout seul. Et … Ce que je veux dire, c’est que je suis là et que tu peux t’appuyer sur moi, comme avant. » Il tentait de la rassurer, mais se rassurer surtout lui, de savoir si oui ou non, il pourrait récupérer la relation qu’il avait avec sa sœur.

Evoquer le père des Reed n’était pas forcément bon signe. Le frère et la sœur avaient préféré reprendre le nom de leur mère que de se retrouver assimilés à leur paternel, si on pouvait vraiment l’appeler ainsi. Aidan n’aimait pas l’évoquer, mais sur le coups, ses propres actions reflétait quelque peu ce fameux père qui n’en était pas un. Réaliser qu’il était en train de devenir une copie de son propre père, c’était ce qui avait poussé Aidan à revenir à Boston, à tenter de revoir Olivia et surtout de connaître son enfant. Retrouver sa sœur à ses côtés, c’était très certainement la meilleure chose qui puisse arriver à Aidan ces derniers temps. Elle avait toujours été son moteur, il avait toujours voulu la protégée, de la dureté de la vie, du chagrin, il voulait qu’elle ne manque de rien. Cet instinct presque paternel, c’est ce qui lui avait manqué sept ans auparavant quand il avait quitté Boston avec pertes et fracas. Il savait qu’il faisait les mauvais choix, quelque part, il ne voulait pas vraiment faire ce genre de choix. Mais avoir un enfant … A l’époque, Aidan n’y avait jamais songé. C’était juste irréalisable pour lui à l’époque, il ne se sentait pas prêt, avait peur de tout faire de travers. Mais ce dont il ne s’était pas rendu compte à l’époque, c’était qu’en fuyant, il faisait justement tout de travers. Lorsqu’il vit les larmes de sa sœur, il ne s’était pas rendu compte à quel point il lui avait fait du mal en partant, en lui parlant à l’époque comme il avait pu lui parler. La vision de sa sœur dans un tel état, c’était bien pire qu’une gifle ou un coup de couteau. Jamais il n’avait voulu lui faire du mal. Mais par ses actions, par ses propos, il prenait conscience qu’il n’avait pas été le frère qu’il aurait dû être à cette époque. Il prit sa sœur dans ses bras, comme si justement il ne voulait plus voir cette image d’elle. Ce qui lui faisait le plus de mal, il était le responsable de tout ces problèmes. Mais il était là pour se racheter, pour réparer ce qui pouvait l’être et assumer ce qui ne pouvait pas forcément être réparé : « - Ce que tu m’as manqué … » Il la serrait toujours dans ses bras. Adalynn et Aidan, c’était une relation frère sœur qui s’était forgée contre leur père. Ils avaient tissés des liens et bien qu’Aidan ne l’admettra probablement jamais, il considérait Adalynn comme un exemple. Elle s’était faîte toute seule,  bien qu’il ne se parlaient plus, ce dernier avait eu des échos et le simple fait qu’elle ait son propre appartement … Aidan avait eu le soutien de sa sœur lorsqu’il est devenu ce qu’il était. Elle n’avait même pas eu droit à ça : « - Je veux tout savoir sis’ … J’ai manqué trop de choses dans ta vie et c’est injuste pour toi. D’abord, y’a un mec dans ta vie ? Comme ça je lui ferait le petit speech du frère sur-protecteur .. » Le sourire était revenu sur le visage d’Aidan. Se reparler, c’était un réel plaisir pour lui.

De reparler à sa sœur, c’était vraiment la seule bonne nouvelle qui ressortait depuis qu’il était de retour à Boston. Il n’avait pas osé faire le premier pas, tout simplement car il s’en voulait de la façon dont leur dernière discussion s’était déroulée. A l’époque Aidan ne voulait pas entendre raison, alors que sa sœur le sommait de revenir à Boston, de régler ses problèmes avant qu’il ne soit trop tard. Elle était la voix de la raison, et inexplicablement, borné comme il l’était, il s’était détournée d’elle, l’avait elle aussi en quelque sorte abandonnée. Depuis cette fameuse dispute, il n’avait jamais osé l’appeler, même si à son retour à Boston, il lui a paru évident de lui passer un coup de fil. Après tout, il ne savait pas vraiment où aller. Il revenait de chez Olivia, il était bouleversé, perdu. Il observait sa sœur, se disait qu’elle était sublime et que pourtant il n’avait pas été là pour elle. Mais elle n’était pas la seule. Que ce soit son fils, Olivia ou même certains de ses amis, il avait déçu pas mal de monde. Le vécu qu’Adalynn et Aidan partageaient était fort. Ils avaient pu restés soudés contre leur père, mais ils n’avaient pas su régler leurs conflits à eux. La problématique semblait simple, mais ils n’étaient pas arrivés à surmonter ça. Mais ils étaient sur la bonne voie : « - Arrête ça ou je vais commencer à pleurer ! » Il souriait, chose qui se faisait rare ces temps-ci. Lorsqu’elle évoqua le boulot d’Aidan à Washington, il ne pu s’empêcher d’avoir un pincement au cœur. Malgré qu’il regrettait d’avoir un jour quitter Boston, Washington était devenu sa seconde maison et il avait adoré son travail et sa vie là-bas : « - Oh tu sais c’est pas grand chose … Mais humainement, c’était vraiment particulier d’être aussi proche du pouvoir, de voir comment un chef d’état prend ses décisions … Mais je vais pas t’embêter avec tout ça. Et toi alors ? Toujours ce rêve de devenir styliste ? » Lorsqu’elle lui répondit sur la négative à sa dernière question, Aidan ne put s’empêcher de tilter, comme si le fait que sa sœur soit célibataire semblait étrange. Puis, c’est sa curiosité qui s’éveilla, sur la fin de sa phrase : « - En temps normal, j’aurai été plutôt content que tu me dise ça mais … T’es sûre que ça va ? Je te connais, je t’ai pratiquement élevée … Tu me caches rien rassure moi ? » L’évocation d’Olivia provoqua un pincement au cœur du journaliste. Rien que de prononcer ce prénom suscitait chez lui une tristesse à peine cachée. Ce prénom, ça lui renvoyait à la figure tous les mauvais choix qu’il avait fait, les mauvaises décisions qu’il avait prise. « - Ouais, je suis allé la voir … Elle est vraiment en colère contre moi. » Il disait colère pour s’épargner lui même. Dans les yeux de la jeune maman, ce n’était pas de la colère, c’était de la haine qu’il avait trouvé.