« Bon les gars, désolé, mais il faut que j’y aille, j’ai ma sœur qui arrive à l’aéroport dans trente minutes. » annonçai-je à mes collègues. On était un plein meeting pour savoir si le mieux afin de mettre en valeur une orange était de la filmer en plongée ou en contre-plongée. Autant dire que ce n’était pas vraiment la conversation la plus intéressante à laquelle j’avais assisté durant mes années en tant qu’assistant réalisateur. J’avais prévenu mon patron que je partirai plus tôt donc je n’avais aucun remord de quitter la réunion en plein milieu. « Tu vas jamais y être à l’heure ! » gueula un de mes collègues et amis alors que je fermai la porte. Il avait raison, mais je préférais ne pas y penser. Je pris ma veste, mes clés et dévalai les escaliers qui menaient au rez-de-chaussée de l’immeuble. Je guettai alors les taxis libres. Vous auriez pensé que c’était comme dans les films, qu’il suffisait de lever la main et gueuler « taxi » pour qu’une voiture jaune apparaissent comme par magie de devant, mais non, c’était une guerre entre toutes les personnes qui en cherchaient un. A cette heure-ci et dans le centre-ville, c’était un bordel sans nom. Je fus chanceux d’en trouver un relativement facilement après cinq minutes d’attentes. J’étais à peine rentrer dans le taxi que j’annonçai « Bonjour, l’aéroport, au plus vite s’il vous plait ». Même si mon ton n’avait pas été des plus agréable, j’avais dit bonjour ce qui était un minimum. Je regardai ma montre qui affichait cinq heures moins le quart. Charlie était censé arriver à dix-huit heures. Il me fallait une bonne vingtaine de minutes pour arriver jusqu’à l’aéroport avec tous ces bouchons. Je sentais le stress monter en moi. Je lui avais promis d’être là pour la réceptionner et je serai en retard. J’avais horreur de laisser tomber ma sœur comme ça. Surtout que cela faisait plusieurs mois que je ne l’avais pas vu et elle me manquait horriblement. Surtout que, pour couronner le tout, je savais qu’il y avait une raison pour son retour. Lorsqu’elle m’avait appelé j’avais pu sentir que quelque chose n’allait pas dans sa voix. Je ne savais pas si elle avait fait une connerie ou si elle était en danger, mais dans les deux cas c’était mon rôle de la protéger. Je n’étais pas le plus vieux, elle était née la première, mais j’étais son frère. Je pianotai alors un rapide message à ma sœur pour lui annoncer mon retard de quelques minutes. Avec un peu de chances, son vol était en retard lui aussi.
J’arrivai finalement à l’aéroport. Je sautai du taxi, lâchant derrière moi quelques billets et un « gardez la monnaie ». Ce n’est pas que je pouvais m’offrir ce genre de luxe, mais j’étais juste tellement pressé que je n’avais pas le temps de le regarder chercher dans sa sacoche pour me rembourser la différence. Je jetai un œil aux vols déjà arrivés. Le vol de Charlie venait tout juste d’atterrir.  Cinq minutes de retard. J’étais l’homme le plus chanceux au monde. Je me plaçai donc en face de la sortie des voyageurs, tout transpirant, le souffle encore court. Il fallait que je sois là pour accueillir ma sœur, je sentais qu’elle avait besoin de moi et j’étais prêt à la protéger, la conseiller, l’héberger. J’étais prêt à tout pour elle et ce depuis ma naissance.

Je scrutais la sortie des voyageurs avec impatience. J’avais hâte de retrouver ma jumelle, cela faisait bien trop longtemps que je ne l’avais pas vu. Heureusement pour moi, l’attente n’allait plus être longue et j’étais à l’heure ! Connaissant ma sœur, elle n’allait pas tarder. Elle n’aimait pas s’encombrer avec trois milliards de bagages. J’attendais donc, bien sagement, les bras le long du corps, planté au milieu du hall principal. J’avais senti dans sa voix la veille que quelque chose n’allait pas et mon regard croisant le sien me donna raison. Je pouvais voir du soulagement dans ses yeux, comme si elle se sentait protéger par ma présence. Je me dirigeai à sa rencontre et la prit dans mes bras. Je sentis qu’elle me serra plus fort qu’à son habitude, je fis de même pour lui montrer que j’étais là. Que tout irait bien. Je me détachai et planta mon regard dans le sien. C’est ça qui était génial avec les jumeaux, on n’avait pas besoin de parler on se comprenait. Elle m’avait lancé l’habituel « comment ça va » auquel je répondis par un vague « bien, merci ». Je voyais bien qu’elle ne savait pas par où commencer, mais quand elle ouvrit la bouche je ne m’attendais à tout sauf à ça. « Je suis mariée ». Je restai un moment interdit. La surprise m’avait complètement paralysée le cerveau. Ma sœur, Charlie Mitchell, mariée. Ce n’était pas possible. Elle était plus dans la merde que je le ne pensais. La surprise laissa place à de la compassion. Dans quelle merde elle s’était fourrée pour se retrouver mariée. Elle essaya de dédramatiser la situation en lâchant un rire, comme à son habitude. Je ne connaissais que trop bien son jeu, je la connaissais par cœur, comme si je l’avais faite. Elle voulut me faire bouger comme si on allait laisser cette révélation derrière nous et je refusais de bouger. Je pense que j’avais le droit à certaines explications à ce « je suis mariée ». J’allais ouvrir la bouche lorsqu’elle me coupa net. « Tu veux qu’on aille prendre un café pour que je t’explique tout ça ? ». Duh. Bien sûr que je voulais prendre un café pour qu’elle m’explique tout ça ! Quelle question. Elle sourit pour encore une fois, essayé de dédramatiser, mais ça ne marchait pas. Elle était mariée. « Quelle question, Charlie. T’es mariée, putain. » finis-je par dire avec une pointe de sarcasme. Je ne me remettais toujours pas de l’annonce de ma sœur. Elle était mariée et pourtant elle avait fui, quelque chose n’allait donc pas. L’inquiétude repris le dessus. Je pris le sac de ma sœur qui gisait au sol avant de me diriger vers la sortie. « Viens, je connais un café pas mal ici. ». Mon ton se voulait rassurant. J’aurais voulu pouvoir sortir une blague pour, moi aussi, dédramatiser, mais ce n’était pas mon rôle dans cette situation. Un mariage, c’est du sérieux.