— Je n’ai jamais éprouvé le besoin d’être moi-même, car je sais combien cette personne est décevante et que nul ne l’aimera jamais. Cette personne si fanée que je suis, elle n’existe pour personne et je me suis enfouie dans les cendres d’un passé terminé pour revenir brulé à vif.
Voila qu’il fonce les sourcils… Comme d’habitude.
— Tu ne comprends pas. Pourquoi tu viens ici me parler, puisque tu ne veux pas comprendre ? Laisses-moi tranquille, je n’existe pas et je ne suis pas ici.
Il n’a rien dit cette fois et c’était nouveau. Je me suis penché pour le regarder car il me fixait étrangement. Je me suis levé lentement et il ne m’a pas ordonné de m’asseoir. Etrange. J’ai malgré tout dessiné un sourire sur mes lèvres au gout de la mort. J’ai pensé parfois l’offrir à tous ces gens en blouse mon baiser mortel. Si seulement j’avais un réel pouvoir, celui de les tuer tous, ces docteurs du psychique. Ils croient qu’ils peuvent entrer dans ma tête, mais ils se trompent parce qu’ils cherchent après quelqu’un qui n’existe plus depuis bien longtemps.
— Pourquoi tu ne dis rien ? Tu me déteste, je le sais… Tu veux me tuer… Je ne suis pas un criminel ; je n’ai jamais tué personne.
Il n’a toujours rien dit. Je n’essaie pas de m’enfuir parce que je sais qu’ici c’est impossible, j’ai déjà prévu mon évasion de toute manière, j’ai entourloupé le type de la blanchisserie avec ma voix immature et cette tronche de gamin battu. Là n’est pas la question, il a encore posé cette question et désormais il ne dit plus rien et cela m’enrage. Il a demandé : pourquoi ne bâtis-tu pas ta propre famille, celle d’Hippolyte Mills… Parfois je lui crache au visage, parce qu’il me fait du mal à parler de cet homme. Il ne sait pas à quel point j’ai souffert à essayer d’être cette personne. Oh si… Il le sait puisque je lui ai déjà tout dit il y a huit ans, j’ai pensé que si je lui racontais mon passé il acceptera de me laisser partir. Ce n’est pas si simple, voila ce qu’il m’a répondu. Jamais je ne le pardonnerai. Pourquoi est-ce que je suis à nouveau ici ? Si seulement l’on m’avait véritablement aimé, personne n’aurai appelé la police… Celui-ci est venu visiter quelque établissement pour mon propre petit suivi, mais il me déteste et me force à en parler… Encore et encore… Je ne suis pas réel et personne n’est là. Je lui réponds souvent qu’il est fou et qu’il ne parle à personne.
Pourtant, c’est moi qui reste enfermé ici dans ce pyjama immonde…
— Je ne me souviens pas de ce garçon.
Il me demande d’y réfléchir car cela devrait me revenir. Il a dit que c’était un genre de garçon qui ne s’oublie pas, un être unique qui ne demande qu’à exister.
Le temps est brusquement immobile.
— Je ne me souviens pas de ce garçon.
Il me dit que je mens. J’ai serré le poing et il me fixe toujours. Doucement, il fait glisser sur la table qui nous sépare un dossier. Mon visage est si morne et désespéré sur cette photographie. Je le fixe et quelque chose s’échappe de mon œil et je ne sais pas comment survivre à ça.
— Je suis obligé de le faire. Je suis obligé de mentir pour exister. Tout le monde ment, le monde entier n’est qu’un mensonge. Autour de moi, personne ne veut dire la vérité, ils sont tous dans cette conspiration. Personne n’accepte la vérité, personne n’accepterai que je ne veuille pas vivre. Personne… Alors… Je suis obligé de mentir pour survivre. Je mens ou je meurs. Je ne peux pas respirer, je ne peux pas être ce garçon. Je suis obligé de le faire.
Il reprend le dossier épais et écrit sans rien dire. Pour la première fois, il ouvre son tiroir et brise une barre chocolatée. Je tends la main et il me dit de la donner à Hippolyte car il la mérite. J’ai mordu dedans et il a sourit pour la première fois et moi aussi.
Il croit que je vais guérir.
Encore une fois, j’ai gagné.
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New-York était une ville sympa. J’ai beaucoup appris sur les gens en vivant ses rues et ses maisons. Après cette évasion je dois la quitter et même si je me suis faufilé pour les regarder par la fenêtre je ne crois pas qu’être Victor Blum était ce dont j’avais besoin. Pourtant maman fait des plats exceptionnels et Brenda est très jolie ; mais Henry et ses problèmes de drogues à tout gâché. Si seulement maman avait cru en moi, mais je n’étais qu’un étranger… J’aurai du le tuer, lui faire avaler ce cocktails mortel auquel je songeais depuis des semaines… Je n’ai pas voulu que maman soit triste à cause de moi. J’ai perdu parce que j’ai eu pitié… Souvent j’y pense, à tuer… Puisque moi, l’on me contraint à vivre. J’ai le sentiment qu’un jour je devrais tuer et remplacer ce vide, je le sens au fond de moi… Ce lien étroit avec la mort.
Je suis retourné à macabam street et j’ai récupéré mes affaires. Je les avais confiés à Oscar, un clochard de la quatorzième qui pense que je suis son cousin et que je vais nous sortir de cet enfer quand j’aurais touché l’héritage de mon père vivant en Colombie et qui est mort écrasé par un char de chantier. Je n’ai qu’un vieux sac avec des vêtements tassé au fond que j’ai échangé avec mon pyjama. Je lui ai donné les dix dollars qu’une bonne femme m’avait donné quand j’ai fais semblant de pleurer à la station du city hall. Je suis parti et je savais que je ne reviendrais jamais voir mon cousin, je l’aimais bien… Je n’ai pas même une adresse à lui ecrire, car je doute que le postier trouve macadam street dans le quartier que j’ai nommé Gutter Distrit.
Je ne savais pas trop où aller, je ne voulais pas revenir en arrière. Je ne savais plus qui j’étais, dans mon sac j’avais toujours ce couteau et je me souvenais quel mal j’avais du faire avec. J’avais juré que je me le planterai moi-même en plein cœur, quand la souffrance de vivre sera trop forte. Douze ans plus tard, il est encore là et moi aussi. Je pense souvent au sang de ma mère coulant sur sa lame, j’aurai du la tuer… Elle n’est pas morte, j’ai donné l’alerte et je me suis enfui. Je crois qu’elle est en vie, mais elle n’est jamais venue me voir depuis. Je n’ai pas voulu lui écrire, je n’ai pas de famille. J’ai probablement volé son âme avec cette lame. J’ai pensé tant de fois à la magie de ma haine, mais je sais qu’elle n’existe que dans la cruauté de certains de mes actes.
Je suis parti de la grosse pomme en train et je savais que c’était terminé. Je savais qu’encore une fois j’avais fait du mal. Ce mal que je ne réparerai jamais. Je regardais par la vitre et pensais à ma sœur, cette si petite fille sur son tricycle. Quand je pense à ce bord de route devant notre maison et ce camion qui est passé puis ce tricycle a disparu. Je crois que ce garçon est resté là bas pour l’éternité. Planté devant la palissade de sa jolie maison un après midi d’été. Il continue à fixer la route, mais il n’y a que ce sang qui glisse sur l’asphalte et qui doucement arrive à ses pieds… Le garçon se noie, il disparaît, mais il reste là. Je pense à ce garçon parfois et à son corps qui est allé à l’école après avoir mis la sonnette de son vélo sur la tombe d’une fillette. Il est allé à l’école, il a eut des bonnes notes et puis il a réalisé qu’il était encore au bord de la route et cela même s’il avait déménagé. Il ne vivait plus que chez maman car papa buvait beaucoup trop. Il réalisa plus tard qu’il était juste au bord de cette maudite route. Moi j’étais chez cette femme, elle se prenait pour ma mère, mais elle m’a interné plusieurs mois après que j’au tenté d’aller m’installer chez les voisins en prétendant avoir le cancer et être un cousin éloigné dont la maison familiale avait brulée. Elle disait que j’étais fou d’inventer de telles histoires, elle avait honte de moi, son fils bizarre et violent. J’ai menacé de bruler sa maison pour en faire la réalité, j’ai vu la peur dans ses yeux et je n’étais qu’un étranger. Quand elle m’a repris avec elle, j’ai voulu la tuer et trouver ma vraie famille à laquelle elle m’avait dérobée.
J’ai erré depuis New-York où j’avais échoué à mes vingt-trois ans, j’y avais vécu presque dix ans et de nombreuses histoires fabuleuses. J’aurai pu devenir n’importe qui, mais j’étais voué à l’échec. Pourquoi ? Je l’ignorai, j’étais parfait à chaque fois. Ce n’était pas la bonne famille… J’aurai pu terminer ma vie en prison, j’aurais pu me servir de mon intelligence pour devenir quelqu’un d‘horrible, j’essaie d’être cette personne parfaite que tout le monde refuse. Je n’ai pas besoin de richesses, la poudre aux yeux me suffit et le confort qui s’en suit c’est ce que j’aime. Le bonheur d’être aimé, d’être lié d’une telle force que rien ne pourra défaire cet attachement. Pourquoi est-ce qu’ils me laissent toujours devant cette route au bout de la route ? Attiré par les lumières éphémères, j’ai trouvé des foyers qui n’étaient finalement pas mien. J’y avais cru de toutes mes forces et je n’avais pas été préparé à échouer de la sorte.
J’aurai voulu abandonner.
Quand je me suis allongé au milieu de la route, personne n’est jamais passé.
Street Deathdefying, j’y reviendrais un jour.
Boston était une nouvelle étape sur ma route pour rejoindre le grand nord où je pensais m’exiler. Je n'avais pas d'argent et j'étais obligé de m'arrêter. J'étais devenu Jean Declar, un type de Louisianne avec des origines française. J'avais un sympathique permis de conduire que j'ai reçu à Quincy. Le type qui me fait ça, croit que j'ai sauvé sa petite soeur avec qui il n'a plus contact depuis douze ans car elle ne supporte pas ses magouilles et le fait qu'elle l'ait fait sortir de prison et qu'il ait recommencé. Souvent il me rend service et je lui donne des nouvelles de sa soeur. Il y a quelque chose de particulier dans cette ville… Ces grandes familles, ces gens qui semblent si liés et dans un monde tellement idyllique j’errai entre les caveaux des êtres tant pleuré alors que je ne serais qu’un homme oublié. Il y avait un homme mort qui n’était pas oublié, le père Allen et j’ai senti qu’il pourrait me sauver. C’était un héros, j’ai toujours voulu en connaître un. Naitre n’est qu’un jeu de construction, j’ai tant frappé des idées les plus irritantes que je suis près à tout et tant pis si je dois faire du mal. La mort et moi sommes amis de longue date.
Je suis le fils de cet homme, je n’avais qu’à poser mon regard sur sa veuve pour comprendre qu’il y avait un vide dans sa vie. Peut-être n'avais-je besoin de tuer personne pour vivre, je voulais y croire... Cet homme me sauvera de cette idée, je ne pouvais rêver d'un meilleur père.
Je sais que je trouverai un jour la famille que je mérite.
Je suis prêt entrer en scène, prêt à jouer à l’extrême… Avec toute la sincérité de mon coeur, alors que l'on cesse enfin de me traiter de menteur.
HIPPOLYTE EN BREF...
Hippolyte est originaire de Philadelphie. A l’âge de huit ans il verra sa petite sœur sur son tricycle se faire faucher par un camion. Après avoir eu un suivi en pédopsychiatrie, celui-ci retourna à l’école et resta un garçon brillant. Il stagnera dans cet état latent alors que son père devint alcoolique et au divorce de ses parents il tenta de se faire passer pour le fils des voisins et dans sa maladie dramatique inventera avoir un cancer. Sa mère le placera ensuite afin de l’aider à aller mieux, mais aussi car elle était effrayé de son propre fils désormais adolescent.
Plongé dans le déni, Hippolyte aurait du rester toute sa vie en institut, mais sa mère décida de le reprendre à la suite d’une manipulation de sa part. Il tenta de l’assassiner à l’arme blanche quelques semaines plus tard et quitta la ville de son enfance pour toujours.
Jeune adulte, il erra de ville en ville ou il s’inventa une multitude de vies dramatiques. Jusqu’à se faire à nouveau passer pour un membre de diverse famille où il passa les jours les plus heureux de son existence. Il retournera en hôpital psychiatrique à deux reprises pour des sanctions pénales après que les familles eurent porté plaintes contre l’usurpateur. Il s’échappera la deuxième fois et parti pour New-York. Il restera longtemps au sein d’une famille dont l’un des fils toxicomane s’en prenait toujours à lui et refusait de le considérer comme son frère. Alors qu’Hippolyte songe à l’assassiner, c’est la police qui vient le chercher et il se retrouva de nouveau interné et manquera d’avoir été également condamné pour détention de drogue, mais sera innocenté après quelques examens biologiques.
Quelques mois plus tard il s’évadera de nouveau et quittera New-York. Il s’arrêtera à Quincy avant d’arriver à Boston. Effrayé, son but était de rejoindre le grand nord sans réellement savoir ce qu’il adviendrait de lui. La vision de la famille Allen au cimetière fit renaitre ses vices et ses mensonges. L’envie d’être le fils illégitime d’un héros lui écrasa la poitrine. Une fascination naquit pour cet homme décédé et tant aimé. Il souhaitait exister au cœur de cette famille nombreuse et cela devint obsédant. Depuis quelques semaines il s’est préparé à entrer en scène et mis en place un nouveau personnage dans lequel il espère enfin trouver le bonheur, loin de se douter que le père défunt est en chemin.